Live at Leeds un article de Rock & Folk
Les plus grands albums de rock sont des albums live. Pourquoi ? Parce que c'est en scène que se déchargent sans trucage colères et frustrations, énergies brutes et joies instinctives. C'est en scène qu'un groupe ou un artiste prend sa véritable dimension et, les soirs de grâce, touche (et fait toucher à son public) l'essence même du rock'n'roll, cette jouissance aveugle qui fait taire l'intellect pour que les sens puissent s'enflammer sans retenue.
Les Who furent de dangereux pyromanes. Chaque soir, ils réinventaient leur répertoire, sans balises ni repères: ils volaient à vue, choisissant toujours vicieusement de foncer droit dans l'ouragan. Et c'est quand ça secouait de partout qu'ils se retrouvaient au bord du crash, que l'instinct de survie les rendait géniaux. Les Who furent le plus grand des groupes de scène des années 60-70 (jusqu'à ce que Keith Moon meure en 1978) et ce "Live At Leeds" est un petit miracle. Aucun album live n'a, à notre sens, réussi à capter comme celui-ci le danger de la scène et la vulnérabilité d'un groupe en action.
En cette soirée du 14 février 1970, les Who donnaient un concert dans la petite salle de l'université de Leeds. Ce n'était pasun gig important. Certes, des magnétos tournaient. Pas pour enregistrer un album mais pour qu'ils puissent se réécouter ensuite et corriger (éventuellement) les erreurs. Il n'y avait donc aucune pression sur eux et ils furent époustouflants de panache, partageant entre classiques du rock ("Summertime Blues", "Shakin' All Over", "Young Man Blues") et titres de leur répertoire ("I Can't Explain", "Substitute", "I'm A Boy", "My Generation", "Magic Bus", etc).
La prise de son sans sophistication restitue, avec un piqué que le temps et les progrès techniques accomplis depuis n'ont pas démodé, la puissance de ce moteur qui se nourrissait de sa propre énergie. Et on n'a jamais aussi bien distingué que dans cet album ce fil magique qui reliait Keith Moon à Pete Townshend, John Entwistle et Roger Daltrey. Keith Moon n'a jamais joué un solo de sa vie mais entre ses mains la batterie devenait l'instrument leader, poussant les trois autres à prendre tous les risques pour attraper cette vague sonore à son sommet et la chevaucher jusqu'à l'horizon.
En écoutant cet album, on comprend pourquoi la tournée Who/ Rolling Stones, envisagée pendant des années, ne se fit pas, Jagger et les Stones refusant la tête d'affiche qu'ils devaient logiquement prendre, sachant parfaitement que personne ne pouvait passer après les Who.
SACHA REINS